La Sauce XO, le plus mystérieux des condiments hongkongais

16 février 2017

La Sauce XO a toujours été entourée d’un voile de mystère. Son nom d’abord. Un adolescent y verrait une sauce coquine à servir pour un dîner de Saint-Valentin tandis qu’un amateur de liqueurs l’imaginerait alcoolisée ou flambée. Son goût ensuite. Bien affûté du palais celui capable d’en deviner la composition après un premier coup de baguettes. Son origine enfin. Avec une notoriété aussi impressionnante, d’aucuns parieraient sur un passé impérial et l’illustreraient d’une brumeuse histoire d’Empereur reconverti en cuisinier du dimanche. La réalité est quelque peu différente. Tentons ensemble de percer tous les secrets de cette si énigmatique Sauce XO.

Une origine pas si lointaine

PeninsulaLa fulgurante ascension de la sauce XO trouve sa source à Hong Kong derrière les fourneaux de l’hôtel Peninsula en 1986, il y a tout juste 30 ans. S’apprêtant à ouvrir les portes d’un nouveau restaurant de cuisine cantonaise baptisé Spring Moon 嘉麟楼 Gaa Leon Lau, l’hôtel s’offre les services du déjà illustre Taam Sek Wing 談錫永 (aussi connu sous son nom d’auteur Wong Ting Zi 王亭之).Taam Sek Wing 談錫永 L’homme, toujours bien portant après 81 printemps, est une figure majeure du bouddhisme en Chine et sur le continent américain. Intellectuel, écrivain, poète, peintre, traducteur, calligraphe, maître feng shui, éditeur, cet érudit touche-à-tout est également fin gourmet à ses heures perdues. À vrai dire, il a fait du savoir manger un thème essentiel de son oeuvre littéraire.

Au fastueux hôtel de la baie de Kowloon, le maître avait pour mission de concocter un met haut de gamme qui deviendrait la signature du nouvel établissement. Pas question pour autant d’utiliser les mêmes ficelles que la concurrence. Ormeaux, ailerons de requins, nid d’hirondelles, concombres de mer et autres vessies de poisson déjà omniprésents sur les grandes tables de la ville ne pouvaient faire partie de l’équation. S’inspirant des condiments épicés du sud-est asiatique comme le sambal belacan malaisien et la sauce satay 沙茶醬 chinoise, Maître Taam Sek Wing a imaginé une curieuse mixture associant produits de la terre et de la mer.

Les deux piliers de la recette sont en effet le pétoncle séché 乾瑤柱 Gon Jiu Cyu et le jambon du Yúnnán 云腿 yún tuǐ. Finement émincés, ils développent une puissance aromatique sans pareille. Des crevettes séchées et des œufs de crevettes sont là ensuite pour accentuer le côté iodé et apporter de la finesse. Du piment rouge, de l’échalote et de l’ail amènent enfin ce qu’il faut de piquant. L’ensemble est odorant, gras, fondant, huileux, mordant, relevé. Bref, diabolique !

Sauce XO Hong Kong

Sauce XO Mrs So’s 蘇太名醬

Même si le pétoncle séché et le jambon du Yúnnán étaient déjà des produits nobles du terroir chinois, la recette manquait encore d’attrait pour répondre aux ambitions du palace. L’idée fût ainsi avancée de la nommer Sauce XO (XO醬) en référence à l’appellation commerciale ayant cours dans le monde du Cognac pour désigner une eau-de-vie vieillie un minimum de six années (XO pour eXtra gOld). La boisson charentaise étant très appréciée des hongkongais fortunés de l’époque, la réutilisation de cette appellation leur a semblé parfaitement adapté. La mayonnaise a pris puisque le mot XO est devenu un adjectif générique couramment employé pour mettre en avant le caractère prestigieux d’un objet ou d’un plat.

Une recette secrète mais largement copiée

À Hong Kong, le sport national entre les restaurants est de copier sans vergogne les recettes en vogue des voisins. Celle de la Sauce XO, bien que longtemps couverte par le secret professionnel, n’a pas échappé au phénomène. Très vite le condiment star s’est retrouvé sur tous les menus des établissements de standing renvoyant une image de luxe aux clients.

Sauce XO Hong Kong
Nouilles sautées aux oignons et Sauce XO (Shanghai Min 小南國)

La Chef sino-américaine Eileen Yin-Fei Lo raconte sa découverte de la Sauce XO en ces termes : « One of the most recent exercises in restaurant mystery surfaced in Hong Kong less than a decade ago, when small dishes of a spicy, pungent, oily paste that had been placed on restaurant tables for years began to attain culinary status and to attract attention. It was called XO Sauce. […] It was delicious : salty, hot, and tasting chiles, dried seefood and cured ham. When I asked the captain what it was, he said simply, That’s the Chef’s secret ».

Du fait de la dimension énigmatique qu’elle véhiculait, la Sauce XO est devenue un moyen d’expression pour les cuisiniers dans une gastronomie cantonaise encore très traditionaliste. À mesure qu’ils cherchaient à la reproduire, les Chefs se la sont appropriée. Chacun ajoutait sa touche personnelle ou adaptait la proportion des ingrédients clés si bien que chaque sauce XO était différente comme pour marquer des identités singulières de cuisine. De là à dire que la sauce XO a été l’un des premiers signes de l’émergence de la cuisine cantonaise d’auteur, il n’y a qu’un pas.

Le sourcing des produits a également été un moyen de se distinguer. Des pétoncles de gros calibre en provenance directe d’Hokkaidō, au mythique jambon de Jīnhuá sélectionné chez les meilleurs producteurs de la province du Zhèjiāng, rien n’a jamais été trop beau pour magnifier la Sauce XO. On lui autorise tous les excès et toutes les extravagances au point de confiner parfois à l’élitiste culinaire le plus grotesque.

Une Sauce XO popularisée par le géant Lee Kum Kee

Lee Kum Kee Pendant plusieurs années, la Sauce XO a été réservée à une classe privilégiée. Certains Chefs proposaient bien de la précieuse sauce en vente à emporter mais elle restait inabordable pour le commun des mortels. Tout change en 1992 lorsque Lee Kum Kee 李錦記, le géant hongkongais de l’agroalimentaire et spécialiste historique de la sauce huître, se décide à commercialiser sa propre version de la sauce XO et à inonder la planète entière. Le succès est sans précédent.

Lee Kum Kee Sauce XO Hong KongSurfant sur l’image de luxe de la sauce, les ventes vont au delà de tout ce que la marque avait pu imaginer. Elle exploite le filon au maximum et diversifie son offre avec des versions quelque peu saugrenues aux ormeaux, à l’huile d’olive ou à la truffe. Pour autant, le contenu du bocal n’est pas toujours glorieux. Oubliés les gros pétoncles japonais 扇貝 Sin Bui, leur sauce se contente assurément d’un modeste bivalve comme le 江珧 Gong Jiu. De même pour le jambon. Il demeure chinois, mais certainement pas séché dans les règles de l’art dans les faubourgs de Xuānwēi. Les œufs de crevettes ont disparu et ne parlons pas des additifs et autres exhausteurs de goût ajoutés pour booster les saveurs des acides aminés en principe intrinsèquement présents lorsque les produits sont respectables. Le rêve d’une sauce XO à petit prix et accessible à tous implique visiblement quelques menus renoncements… Ceci étant dit, leur sauce XO est encore ce que l’on trouve de mieux en France.

Une Sauce XO aux multiples usages

L’invention de cette sauce XO relève à mon sens du génie culinaire. Elle synthétise à elle seule une partie de l’esprit de la cuisine cantonaise. La simplicité et la rusticité des ingrédients, la complexité et la puissance des saveurs ou encore le soin et le raffinement des préparations. Certains vont même jusqu’à dire qu’elle constitue la quintessence de la cuisine cantonaise.

Dim Sum à Hong Kong

Siu Maai au Porc et au Homard avec une Sauce XO à la truffe (Kwan Cheuk Heen 君綽軒)

La traduction en français du caractère 醬 zoeng par sauce est confusante. Elle renvoie à une préparation plus ou moins liquide et homogène ayant vocation à accompagner un ingrédient principal. Ce n’est pas vraiment le cas de la Sauce XO. Les termes de pâte voire de confit seraient plus appropriés. Pour s’en convaincre, rappelons que le Spring Moon a commencé par s’en servir comme condiment pour agrémenter la dégustation des Dim Sum. Les clients l’utilisaient à leur convenance pour pimenter leurs bouchées au même titre qu’une classique huile pimentée 辣椒油 Laat Ziu Jau.

Les anglosaxons désignent régulièrement la sauce XO comme le Caviar de l’Orient. La formule est spectaculaire mais n’est pas sans fondement. L’usage fait de la sauce XO a évolué au point d’être semblable à celui du caviar ou de la truffe dans la cuisine française. Certains Chefs osent la proposer en supplément d’un plat. Elle vient le parfaire comme une cerise sur un gâteau. D’un point de vue gustatif, elle le transporte directement dans une autre galaxie.

Sauce XO Hong Kong
Nouilles Taïwanaises à la Sauce XO

Les Chefs Dim Sum la dispersent élégamment sur un rustique Gâteau de radis 蘿蔔糕 Lo Baak Gou comme sur un délicat Ravioli à la crevette 蝦餃 Haa Gaau. Son association avec toutes sortes de fruits de mer est d’ailleurs évidente. Frankie Tang, le Chef actuel du Spring Moon, la sert avec des pétoncles sautés ou des ormeaux. Au fantastique restaurant Yan Toh Heen, elle trouve sa place au milieu d’une salade Lo Hei haute couture et au sommet d’un concombre de mer croustillant. Le Chef du Sun Tung Lok la fait revenir au wok avec des grosses crevettes japonaises de Kyushu. Et n’oublions pas les fameuses Nouilles E-Fu sautées au Homard et à la Sauce XO, un plat incontournable des restaurants de fruits de mer à Hong Kong.

Par nature, la Sauce XO est mariée à des ingrédients nobles et onéreux. Mais de plus en plus de Chefs jouent le contre-pied et l’accommodent avec un modeste tofu, des nouilles, des rouleaux de riz, des champignons, des pousses de bambous, des aubergines ou encore de simples légumes verts. Sans compter qu’avec sa démocratisation, la Sauce XO ne trouve maintenant plus aucune limite dans ses usages. Elle a l’avantage de donner du goût à n’importe quoi. Quelques bricoles sautées au wok ou cuites à la vapeur, une cuillère de sauce XO et le tour est joué. Un conseil entre nous. Mieux vaut raréfier sa consommation et privilégier la qualité.

Ultra-répandue, la Sauce XO aurait pu devenir ringarde. Ce n’est manifestement pas le cas tant la nouvelle garde de la cuisine cantonaise aime à la disséminer dans ses créations. Au hasard, le Chef Dan Hong la sert avec du Canard rôti et un œuf poché. En Australie, le jeune Adam Liaw a remporté le Masterchef local en cuisinant le condiment à toutes les sauces. Quant au Chef Jowett Yu du restaurant Ho Lee Fook, il l’associe à des calmars et à des graines de courge. Même des Chefs occidentaux s’y frottent. La sauce XO n’a pas fini de faire parler d’elle.

Sauce XO à la maison

Sans chercher à égaler les réalisations des spécialistes en la matière, il est tout à fait possible de cuisiner sa propre sauce XO à la maison. La difficulté principale réside dans l’approvisionnement en produits de qualité. Après, tout est affaire de proportion, de découpe et de cuisson !

Sauce XO Hong Kong

Sauce XO Maison

Je publierai sans doute un de ces quatre une recette détaillée de Sauce XO. En attendant, je vous invite à admirer un Chef hongkongais à l’oeuvre. Il s’agit du Chef Sum qui officie au très select restaurant The Terrace 近水樓台 à l’aéroport de Hong Kong. Sa recette est on ne peut plus authentique et sa maîtrise technique est indéniable.

J’espère que la Sauce XO n’a dorénavant plus de secret pour vous. Le prochain article sur ce même thème aura pour ambition de partager quelques adresses hongkongaises où acheter de délicieuses sauces XO à ramener dans vos valises.

Bibliographie

Chinese Entrepreneurship – Fu-Lai Tony Yu / Diana S. Kwan
Mastering the Art of Chinese Cooking – Eileen Yin-Fei Lo
Interview de Taam Sek Wing 談錫永 dans 星期日大班
Sauce XO (XO酱) chez Sinogastronomie
XO sauce XO酱 chez Recettes d’une Chinoise

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