J’ai eu l’occasion de vous balader dans plusieurs spots de pêche de Hong Kong à commencer par Tai O sur l’île de Lantau, sans doute le village de pêcheurs le plus touristique du territoire avec Sai Kung et sa célèbre Seafood Street. Au village de Lei Yue Mun, je vantais les qualités de la restauration tandis qu’à Cheung Chau, je m’extasiais devant le charme et l’authenticité de l’île. Je vous propose aujourd’hui de poursuivre nos aventures gourmandes à Lau Fau Shan 流浮山, un petit village typique beaucoup moins connu mais qui ne manque pas d’intérêt.
Situé dans les Nouveaux Territoires, à l’extrême nord-ouest de Hong Kong, le village de Lau Fau Shan n’est pas le plus accessible. Nous sommes dans une partie très rurale du territoire où la végétation sauvage est de toute évidence bien plus envahissante que les gratte-ciels. Il est d’ailleurs assez rare que je pousse mes explorations hongkongaises dans ce secteur préférant jusque-là les grands espaces des fermes biologiques et des parcs nationaux de l’est de la péninsule.
Seulement, nous ne sommes pas venus dans ce coin par hasard. À l’origine, nous rendions visite à l’association Rescue Centre for Abandoned Pets 拯救遺棄寵物中心 établi juste à côté. Il s’agit d’une association formidable qui vient en aide aux animaux abandonnés de Hong Kong et que nous suivons depuis plusieurs années. Je suis un peu hors sujet mais, on ne sait jamais, en parler ici leur amènera peut-être de nouveaux et généreux contributeurs 🙂
Notre adorable amie photographe Daphne Chan que nous connaissons depuis notre pré-mariage (et oui à HK, on fait des pré-mariages !) est l’une des bénévoles les plus actives de l’association. Très vite, elle nous a rallié à sa cause touchés par son amour des animaux et son engagement pour cette association. Après un long moment à chouchouter ces gentilles bêtes et à partager quelques fruits de mer grillés autour d’un barbecue de fortune vient l’heure du départ. Nos nouveaux amis nous recommandent chaudement la visite du village de pêcheurs voisin et nous embarquent dans leur camionnette.
Après plusieurs arrêts destinés à nourrir les chiens errants de la côte, nous arrivons à l’entrée du village de pêcheurs de Lau Fau Shan 流浮山. Celle-ci est marquée d’une traditionnelle arche tout en sobriété et fraîchement rénovée. Par le passé, ces arches avaient une fonction administrative et permettaient de diviser une ville en quartiers. De nos jours, elles ont seulement une fonction décorative et symbolique.
L’artère principale menant à la mer et à l’embarcadère est peu accueillante de prime abord. La ruelle est étroite et seulement éclairée par les ampoules à nu des commerces de poissons et fruits de mer séchés. Heureusement, le bagout et la bonhomie des marchands nous donnent tout de suite le sourire.
Pour cette balade, nous étions en Janvier et le marché était particulièrement fréquenté. Cela s’explique par le fait que les chinois considèrent que consommer du poisson et des fruits de mer séchés pendant cette période porte chance. Les moules et les huîtres séchées sont en priorité recherchées car en manger attire la fortune. De manière générale, les célébrations du Nouvel an chinois sont l’occasion de se faire plaisir et de moins regarder à la dépense.
Tous les stands fourmillent de curiosités toutes plus surprenantes les unes que les autres. Impossible de vous en dresser un inventaire exhaustif. Comme toujours la Vessie de poisson 花膠 Faa Gaau est bien représentée mais reste l’un des produits les plus onéreux à la vente. Les petits budgets préféreront les crevettes, les seiches ou les calmars séchés. Si vous ne grignotez pas tout pendant la balade comme moi à Cheung Chau, ils pourront se cuisiner à la maison avec du riz frit ou dans un bon Congee au petit-déjeuner.
Ce marché est avant tout populaire et les produits les plus prestigieux comme les pétoncles séchées 乾貝 Gon Bui, les Ormeaux séchés 乾鮑魚 Gon Baau Jyu ou les ailerons de requin 魚翅 Jyu Ci sont peu présents sur les étals. Pour s’en procurer de qualité, il vaut mieux compter sur les boutiques spécialisées du quartier de Sheung Wan.
À l’inverse, ces alevins séchés se comptent par milliers. Les étiquettes font étrangement mention du nom de 日本公鱼干 Jat Bun Gung Jyu Gon que l’on peut traduire par Anchois séchées du Japon (étant entendu que la traduction des espèces de poisson en français est forcément approximative). Mais que vient faire le Japon dans cette histoire ?
Manifestement les marchands font référence par cette dénomination au Shirasu シラス japonais. Autrement dit des larves de poissons (principalement d’anchois) dégustées crues, cuites ou encore séchées. Même si ces alevins séchés ont toujours fait partie de la cuisine chinoise, il semblerait que la notoriété et le prestige de leurs homologues japonais aient pris le dessus. Quoiqu’il en soit, les chinois les consomment un peu de la même manière. C’est à dire en grignotage, parfois mélangés à des fruits secs, ou intégrés à des bouillons.
Au registre des curiosités, en voici une plutôt épineuse. Ce qui de loin pourrait ressembler à un nid de guêpes est bel et bien du poisson séché. Les français parlent de Poisson-hérisson, de Poisson porc-épic ou de Diodon pour évoquer cette espèce capable d’effrayer ses agresseurs avec ses épines ou en gonflant sa vessie natatoire. De la même manière, j’ai vu plusieurs noms pour désigner ce poisson en Chine. Ici, la vendeuse l’appelle 有刺雞泡魚 Jau Ci Gai Paau Jyu que je traduis sans doute maladroitement par Poisson bulle de poulet barbelé. Comme son cousin le Fugu, le poisson-hérisson est toxique et sa préparation est à la fois risquée et minutieuse. La même vendeuse nous garantit que le poisson séché a perdu toute sa toxicité. Sans mettre sa parole en doute, je préfère m’abstenir. Il est toutefois fréquent de voir des recettes de soupes familiales utilisant ce poisson. J’ai par exemple un livre qui donne une recette de Bouillon de porc, poisson-hérisson séché, pétoncles séchés et graines de ginkgo.
D’ailleurs, ajouter quelques quartiers d’œuf de cent ans 皮蛋 Pei Daan dans une soupe est toujours une excellente idée 😉
Nous commençons à avoir un petit creux et nous jetons notre dévolu sur des Fils de Calmars séchés 魷魚絲 Jau Jyu Si vendus à la sauvette par une charmante vieille dame. Je doute qu’ils soient produits de manière artisanale tellement la production industrielle envahit tous les commerces aujourd’hui. Mais sait-on jamais car je les ai trouvé très bons, moelleux, goûtus et bien meilleurs que ceux que j’achète habituellement pour l’apéritif à la maison. Le parisien parvenu vous dirait qu’ils étaient très riches en umami. Le scientifique dans l’âme vanterait plutôt les saveurs des nombreux acides aminés à commencer par celle du monoglutamate de sodium inévitablement ajouté lors de la préparation.
Nous complétons cette petite collation avec des Gâteaux au Thé 茶粿 Caa Gwo repérés un peu plus tôt. Pendant que la maman s’attelle en arrière-plan à la confection des gâteaux, la fille âgée d’une dizaine d’années fait le service avec un aplomb et un sens du commerce déconcertants. Elle m’a fait craqué et je n’ai pas eu d’autre choix que d’en prendre deux de chaque. Comme au Bo Kwong, ceux-ci sont aux Haricots rouges 和眉豆 Wo Mei Dau et aux Haricots Mungo 綠豆 Luk Dau. Leur forme n’est pas académique mais ils ont le charme des gâteaux faits maison. La pâte de riz gluant est incroyablement légère et la farce est généreuse et doucement sucrée. Une vraie merveille dont je ne saurais me lasser…
Plus nous approchons de la mer et plus l’odeur de poisson se fait envahissante. Contrairement à ceux de l’entrée du marché, les commerçants présents près de l’embarcadère vendent les poissons et les fruits de mer péchés dans les alentours. L’un d’eux nous raconte que chaque matin à l’aube, les pêcheurs reviennent avec leur pêche du jour. Leur travail est harassant car ils n’ont aucune aide mécanique. Aussi bien le port que leurs bateaux ne bénéficient d’aucun équipement moderne.
En matinée, le marché est plus actif et fait la part belle aux poissons frais et vivants tandis que l’après-midi est consacré à la préparation et à la vente du poisson salé.
Mais le trésor de Lau Fau Shan 流浮山 est ailleurs. En effet, le village est d’abord réputé pour la culture des huîtres. Dans les années 70, il était le plus important bassin ostréicole de tout le Guangdong. Point de rencontre entre l’eau salée de la Mer de Chine méridionale et l’eau douce de la Rivière des Perles 珠江 Zyu Gong, la baie de Shenzhen et ses eaux peu profondes sont le lieu idéal pour la culture de l’huître. Seulement cette situation est aussi ce qui a causé du tord aux éleveurs dans les années 80. L’expansion spectaculaire de Shenzhen a fait augmenter de manière considérable la pollution dans la baie rendant quasiment impossible la culture et la consommation du précieux mollusque.
Fort heureusement, Shenzhen est l’une des villes chinoises les plus avancées en matière de respect environnemental. Dès le début des années 90, le gouvernement a entrepris de grands travaux pour réparer les dégâts causés. Depuis quelques années, les eaux sont bien plus saines et la culture de l’huître a pu reprendre son cours avec les villageois restants. On est loin de l’effervescence et de la production de la grande époque mais Lau Fau Shan a aujourd’hui une image artisanale et ses huîtres ont très bonne réputation à Hong Kong.
L’illustration de cette culture artisanale est partout dans le village. Les ostréiculteurs ramènent au compte goutte les huîtres du bassin dans leurs modestes Sampan 舢舨 Saan Baan, l’embarcation en bois traditionnelle des pêcheurs chinois. Les huîtres sont ensuite classées et ouvertes à même le sol. Les coquilles sont conservées et servent à la construction d’édifices comme des cabanes ou des murs. La chair est quant à elle dégorgée dans de l’eau salée avant de partir au séchage.
Le séchage des huîtres s’effectue sur de grands tamis alignés au bord de la mer et bercés par la brise iodée du littoral. La durée de séchage varie selon la qualité de l’huître, sa taille et évidemment les conditions climatiques. Au mieux, elles passent trois jours complets au soleil. Au pire, le séchage prendra jusqu’à une semaine.
Un vendeur m’explique qu’il existe plusieurs sortes d’huîtres séchées. La plus recherchée et la plus chère est l’Huître dorée 金蠔 Gam Hou. Souvent j’ai vu cette appellation sur les cartes des restaurants mais je pensais bêtement qu’il s’agissait une manière de valoriser le plat. Manifestement, ce nom fait bien référence à une espèce d’huître particulière. Je suis incapable de donner son nom français ou scientifique mais je peux vous dire qu’elle est grosse, irrégulière, creuse et que la coquille est plus foncée. Elle prend lors du séchage un aspect dorée ou plutôt cuivré et son goût est incomparable. Il faut absolument repartir de Lau Fau Shan avec quelques huîtres dorées car ce sont sans aucun doute les meilleures que l’on puisse s’offrir à Hong Kong.
En matière de restauration, Lau Fau Shan compte quelques bonnes adresses de fruits de mer. Bien sûr, on cuisine ici la spécialité du village mais pas seulement. La Panope du coin a bonne réputation également. Elle abonde dans les eaux de la baie de Shenzhen et les chefs du village ne manquent pas de la mettre en valeur.
Le restaurant le plus apprécié est le Happy Seafood Restaurant 歡樂海鮮酒家 (à ne pas confondre avec celui de Lei Yue Mun qui porte le même nom anglais mais n’a aucun lien). Dans ce restaurant officie un jeune Chef prodige de la cuisine cantonaise. Son histoire est hallucinante. Fils d’un couple de restaurateurs, il a perdu son père à l’âge de 13 ans. Pour continuer à faire vivre l’affaire familiale, il devient le Chef du restaurant à 14 ans seulement. Aujourd’hui, le Chef Lau Gaa Leon 劉嘉麟 multiplie les distinctions. Diplômé du Collège le Cordon Bleu à Tokyo, plus jeune cuisinier à avoir obtenu le titre de International Culinary Art Master de la part de l’association des Disciples d’Escoffier et j’en passe, il est le Chef chouchou des médias. C’est en quelque sorte le Cyril Lignac hongkongais 😉 Nous aurons l’occasion de revenir prochainement sur sa cuisine. [MAJ : Malheureusement, j’ai appris le décès de ce pauvre jeune Chef. Lau Fau Shan et la cuisine cantonaise ont perdu un de leurs plus talentueux représentants.]
Nos amis de l’association nous avaient conseillé de rester jusqu’à l’heure du coucher de soleil car Lau Fau Shan est connu pour être le plus bel endroit où le contempler à Hong Kong. Nous ne sommes pas les seuls rencardés. Les hongkongais en balade dominicale sont aussi au rendez-vous et immortalisent comme nous ce magnifique moment. Le soleil d’un jaune étincelant se couche sur la baie avec le pont reliant Hong Kong à Shenzhen au premier plan. Il tisse un fil d’or ente le ciel et cette plage surréaliste entièrement jonchée de coquilles. Nous venons peut-être de percer le mystère de la couleur dorée si singulière des huîtres du village.
Comment venir à Lau Fau Shan ?
Prendre la West Rail Line jusqu’à Yuen Long Station et ensuite prendre le bus MTR K65 jusqu’au village. Comptez une bonne heure depuis East Tsim Sha Tsui Station.
Retrouvez Lau Fau Shan sur la Carte de mes Adresses à Hong Kong.
J’ai publié d’autres photos de cette balade sur la page Facebook du blog.
Merci Alice pour ton message ! Ça me rassure qu’au moins une personne ait lu cet article :p
Oui j’en ai ramené bien sûr même s’il faut les consommer rapidement. J’en ai pas parlé dans l’article mais finalement le mieux est peut-être de repartir avec de la Sauce huître. Il existe dans le village une fabrique artisanale et une boutique que je n’ai malheureusement pas eu le temps de voir lors de mon passage mais qui fait des sauces parait-il de grande qualité.
C’est clair que la texture est surprenante mais je trouve ça fantastique surtout quand ce sont des huîtres dorées qui sont assez peu séchées par rapport à d’autres variétés. Elles se suffissent à elles-mêmes. Plusieurs bons restaurants les servent juste cuites à la vapeur avec un léger laquage sucré et une petite tuile croustillante. Ça vaut le coup d’essayer !
Bonjour Ariane,
C’est un plaisir pour moi qu’accueillir sur le blog une amatrice de cuisine hongkongaise. J’espère que Lau Fau Shan vous plaira autant que DimSimSum. Pour la prochaine, tentez le Pier 88 par exemple. Je ne publie pas encore assez sur Hong Kong pour garder de la place pour Paris mais j’espère que vous avez trouvé sur le blog quelques adresses intéressantes pour alimenter vos voyages à Hong Kong 😉 N’hésitez pas à partager vos recommandations ou vos impressions sur les adresses sur lesquelles j’écris.
A très bientôt !
Alexandre.
On vient de m apprendre que le chef bien connu n’est plus… 🙁
Oh mon dieu, je viens de faire quelques recherches et vous avez raison, quelle horreur… Il était si sympathique. En plus, j’ai honte, j’ai écrit mon article après sa mort sans le savoir alors que j’avais eu le plaisir de goûter sa cuisine quelques mois plus tôt…