Parmi les nombreux rituels familiaux à Hong Kong, l’un de mes préférés est sans hésiter celui qui nous réunit tous autour d’un gargantuesque repas de fruits de mer au Happy Seafood 快樂漁港酒家 de Lei Yue Mun. Chaque visite dans ce charmant village de pêcheurs est en plus l’occasion de faire un détour par la Biscuiterie 瑞香園餅家 Seoi Hoeng Jyun Beng Gaa établie à quelques mètres du restaurant. L’enseigne n’a pas de nom anglais mais on peut la traduire du chinois par Biscuiterie du Jardin de Daphné où Daphné fait référence à l’arbuste aux fleurs colorées et odorantes mais aussi au nom de la femme du patron.
Du fait de sa localisation excentrée sur la péninsule de Kowloon, la Biscuiterie n’est pas particulièrement populaire et encore moins une adresse à touristes. Pour autant, elle jouit d’une belle réputation auprès des connaisseurs et des visiteurs réguliers du port. Comme preuve de sa longévité et de la fidélité de ses clients, le patron précise sur sa devanture qu’il a créé son affaire il y a plus de 40 ans ! Les années 70 ont en effet été le théâtre de l’avènement de la boulangerie-pâtisserie hongkongaise qui, en dépit des nombreuses modes successives autour de la pâtisserie japonaise et française, restent très appréciée des jeunes gourmands.
Cette biscuiterie est d’abord une histoire de famille. Aux côtés du patriarche (de dos sur ma dernière photo), au moins deux générations se côtoient et s’attellent à la confection et à la vente des spécialités pâtissières de la maison. Tout ici est fait à la main ou avec un équipement rudimentaire à l’image du four dont on ose à peine imaginer le nombre d’années de bons et loyaux services. Quelque soit l’heure de la journée, une partie de la famille prépare et cuit des biscuits sous le regard des clients. Les tours de main du vieux pâtissier sont hypnotisants. Il les enchaîne avec dextérité et concentration malgré des yeux hagards qui scrutent en permanence ce que font ses enfants.
Ce grand-père, c’est M. Lee Kui . Il est devenu une personnalité locale après que l’émission May Food Keep Us Together 飲食男女 lui ait consacré un magnifique épisode en 2012 intitulé en anglais Growing Old with Chinese Pastries. L’émission avait été remarqué au point d’être primée dans plusieurs festivals en Asie et même aux Etats-Unis. Je vous invite à la visionner en version sous-titrée sur le site du New York Festivals World’s Best TV & Films. On y découvre un pâtissier émérite, perfectionniste et passionné mais aussi profondément usé par la vie et par son métier. L’histoire de M. Lee Kui et de sa femme est vraiment très émouvante et j’y retrouve beaucoup de la vie de hongkongais que je connais ou que j’ai eu la chance de croiser.
Au delà de son intérêt gastronomique, ce documentaire a aussi une dimension sociétale. D’abord parce qu’il aborde la question de la transmission des savoir-faire ancestraux qui tendent malheureusement à disparaître à Hong Kong. Ensuite parce qu’il renvoie à cette population hongkongaise qui malgré son âge très avancé n’a souvent pas d’autre choix que de travailler jusqu’à son dernier souffle.
Le choix de biscuits est impressionnant. J’en ai compté une vingtaine de sortes différentes bien que ce nombre diffère en fonction de la période et des festivités en cours.
En bonne place, on retrouve les incontournables Gâteaux de l’épouse 老婆餅 Lou Po Bing (très connus en anglais sous le nom de Wife Cakes). Vous pouvez voir leur préparation dans le documentaire à la 15ème minute. Il s’agit d’une pâtisserie cantonaise typique réalisée à partir d’une pâte feuilletée et d’une purée de courge cireuse bien que celle de M. Lee soit un peu différente. Je reviendrai prochainement sur cette délicieuse spécialité qui mérite de toute évidence un article dédié.
M. Lee est aussi un spécialiste des Rouleaux aux oeufs 雞蛋卷 Gai Daan Gyun que j’évoquais à l’occasion d’un précédent billet. Sa recette se démarque de celle du Duck Shing Ho 德成號. Ses rouleaux sont moins friables, plus croustillants et légèrement moins gras. C’est un autre style qui a aussi ses avantages mais ma préférence va tout de même aux rouleaux très convoités de Madame Liu.
Selon moi, la spécialité la plus intéressante de la Biscuiterie du Jardin de Daphné est ce que l’on pourrait traduire par Biscuit du petit Poulet 雞仔餅 Gai Zai Beng. Avouez que c’est un drôle de nom pour une pâtisserie ? Je vous le dis tout de suite, il n’y a pas de poulet dedans même si ce biscuit joue subtilement sur le sucré-salé.
D’après Baike, la légende raconte que ce gâteau a été imaginé en 1855 par l’empereur Xianfeng lui-même alors que son Chef cuisinier était absent et que traînaient dans sa cuisine des ingrédients normalement destinés à la confection des Gâteaux de Lune. Son impériale création a d’abord été baptisée Gâteau du petit Phœnix 小凤餅 Xiǎo Fèng Bǐng en référence à son propre nom dont la prononciation est très proche. Devenue une spécialité de la ville de Guangzhou, le petit phœnix s’est ensuite transformé en petit poulet car c’est ainsi que l’on désignait affectueusement le mythique volatile en cantonais.
Il existe de nombreuses versions du Gai Zai Beng 雞仔餅. Ce gâteau est même parfois beaucoup plus connu comme étant une spécialité malaisienne. Vous tomberez forcément un jour sur un ami du sud-est asiatique qui vous soutiendra mordicus la thèse de l’origine malaisienne. La réalité est que ce gâteau a en effet émergé dans la ville de Kampar au nord de la Malaisie mais que cela tient au fait que la région a fait l’objet d’une importante vague de migrants cantonais qui ont amené ce petit biscuit dans leurs bagages.
La version traditionnelle est composée a minima de courge cireuse, de graines de sésame blanc, de saindoux, d’œuf, de farine, de sucre, de poivre et de 5 épices. Ensuite, il est possible d’enrichir l’assaisonnement avec du miel, de la sauce soja ou encore de l’ail. Dans sa boutique, M. Lee propose même une déclinaison agrémentée de Tofu fermenté, on parle alors de 南乳雞仔餅 Naam Jyu Gai Zai Bing.
Difficile d’imaginer le goût d’un tel mélange ! Clairement, c’est le salé qui prédomine dans ce biscuit. Je le vois d’ailleurs plus comme un en-cas à grignoter en apéritif que comme une friandise pour le goûter. Ça tombe bien puisque je m’apprête à faire une orgie de fruits de mer ! La texture est croustillante mais, en bouche, il fond très vite et laisse dégager tous ses parfums. Le tofu fermenté transforme totalement la sensation. C’est plus fort, plus clivant. Personnellement, je les trouve excellents et rares sont les pâtisseries à les réaliser aussi bien. C’est qu’il a de l’expérience ce M. Lee !
On termine cette dégustation avec deux biscuits bien plus consensuels pour nos timides palais occidentaux. Le premier est un 加蛋餅 Gaa Daan Beng que je traduirais bêtement par Biscuit plein d’œufs. C’est croustillant à l’extérieur et moelleux à l’intérieur, j’ai adoré ! Même sanction pour le deuxième qui est une sorte de Macaron à la Noix de Coco 椰子堆 Je Zi Deoi. Il est très chargé en coco et possède une texture ultra-fondante particulièrement agréable. À noter que ces deux biscuits sont davantage des créations que des gâteaux traditionnels de Hong Kong. M. Lee évoque dans le documentaire une tradition autour du Macaron Coco et les mariages mais personne autour de moi ne semble la connaître… Je retournerai à la biscuiterie pour en savoir plus 😉
En conclusion, je vous recommande chaudement de vous rendre à la Biscuiterie du Jardin de Daphné 瑞香園餅家 à Lei Yue Mun. Même sans rien acheter, le spectacle du pâtissier à l’oeuvre vaut le détour. Je suis certain que vous serez, comme moi, touché par ce vieux monsieur appliqué et souriant. Si vous êtes en appétit, n’hésitez pas à vous laisser tenter par ses spécialités à commencer par l’excellent Gai Zai Beng. Enfin, je n’ai pas parlé des prix. Ils sont dérisoires voir gênants… 2 HKD (~0.2 €) le Gai Zai Beng et 3.5 HKD (~0.35 €) pour un Lou Po Bing.
Informations :
瑞香園餅家
G/F, 41 C Lei Yue Mun Praya Road, Lei Yue Mun, Hong Kong
Tél. : 2347 4483
www.facebook.com/鯉魚門瑞香園餅家
Quel magnifique article encore une fois !
J’ai regardé le documentaire. Ce monsieur m’a fait beaucoup de peine. J’espère qu’il aura encore une longue vie et qu’il pourra travailler encore longtemps car c’est ce qui le rend heureux. Et puis, je n’ai pas eu l’impression que ses enfants étaient vraiment chauds pour reprendre 🙂
Merci pour cette découverte.
Merci beaucoup Thomas !
Ah oui tu as remarqué ça aussi. Les enfants n’ont pas l’air bien doué et sont beaucoup moins rigoureux que leur père 🙂 C’est pour ça que je parle de la question de la transmission. Tout le monde se plaint à HK de la baisse de qualité de la cuisine cantonaise authentique. Les techniques, les savoir-faire, les recettes, tout se perd progressivement car les jeunes ne veulent pas reprendre ces métiers exigeants et éprouvants. Ces métiers manuels sont délaissés au profit d’autres plus prestigieux et surtout plus rémunérateurs. Si tu rajoutes à ça les conséquences de la flambée immobilière, la cuisine authentique cantonaise a du souci à se faire…
ce grand-père me laisse admirative! typiquement le genre d’endroit qu’il me plairait de visiter