Alors que la Mairie de Paris vient de lancer un appel à propositions pour distribuer 41 nouveaux emplacements de food trucks à travers la capitale, l’émergence de ces camions fait également l’actualité du côté de Hong Kong. Plusieurs restaurateurs expatriés à succès y voient une nouvelle façon de décliner et vendre leurs cuisines occidentales aux hongkongais mais hésitent encore à se lancer dans l’aventure. Jusqu’à présent, les rares nouveaux food trucks comme le The Butchers Club Truck se contentent de participer à des manifestations ponctuelles et à des marchés comme le Island East Market ou le Harbour Artisanal Food Market.
Le souci est que les autorités hongkongaises font habituellement tout leur possible pour tuer la cuisine de rue principalement dans les quartiers touristiques du territoire. Pour eux, qu’importe si cette cuisine traditionnelle fait partie intégrante de l’identité de Hong Kong et des habitudes alimentaires de ses habitants. Les vendeurs de rue ne sont plus les bienvenus. Les Dai Pai Dong subissent la spéculation immobilière et une réglementation sanitaire de plus en plus contraignante. Ces restaurants typiques installés sur le trottoir à l’ombre des buildings disparaissent à petit feu alors qu’ils proposent d’authentiques spécialités cantonaises dont certaines n’existent pas dans les établissements conventionnels. Qui cuisinera d’aussi délicieuses soupes de nouilles à la tomate et du riz frit façon sin chew lorsque Sing Heung Yuen et Ball Kee seront contraints de plier bagage ? Pas grand monde. Le dernier exemple médiatisé de cette aseptisation effrénée est la fermeture du Graham Street Wet Market, l’un des plus vieux marchés de la ville.
L’apothéose de ce processus incompréhensible et absurde serait maintenant de céder à la pression des entrepreneurs et d’accorder de nouvelles licences à des food trucks tout beaux tout neufs vendant sur la chaussée des tacos et des burgers dans une ville souffrant de la pollution et totalement inadaptée au stationnement. En même temps, c’est exactement ce qu’est en train de faire la Mairie de Paris chez nous ! Je n’arriverai personnellement jamais à me faire à l’idée que l’on éradique des traditions et des cuisines de rue locales au profit d’une street food conceptuelle et mondialisée qui plus est préparée dans un camion.
Le tableau succinct que je dresse de la situation des Food Trucks à Hong Kong serait trompeur si je ne vous parlais pas de Mobile Softee 雪糕車. Il existe en réalité depuis longtemps un marchand ambulant qui sillonne tout le territoire de Hong Kong pour vendre aux jeunes gourmands de modestes glaces à la vanille. C’est bien cette histoire que je souhaitais à la base vous raconter aujourd’hui…
L’histoire débute en 1970 alors que trois amis, deux hongkongais et un anglais, viennent de découvrir le succès incroyable des camions de glaces de l’enseigne Mister Softee. Créée en 1956 par William et James Conway à Philadelphie, cette enseigne a connu un développement fulgurant. En un demi-siècle, elle est devenue l’une des plus grosses franchises des États-Unis avec pas moins de 600 camions et a bercé l’enfance de millions d’américains en culottes courtes.
Les trois compères réussissent par je ne sais quel moyen à obtenir l’autorisation auprès des autorités de vendre des glaces dans des camions ambulants. Ils importent ainsi les premiers Food Trucks à Hong Kong. Le nom de Mister Softee est conservé mais un nom chinois est également donné. Ce sera 富豪雪糕 Fu Hou Syu Gou pour Glaces royales. Rien que ça ! Le succès est immédiat et les associés vont faire tourner 14 camions dans les Nouveaux Territoires de Tuen Mun à Sha Tin mais aussi dans le centre de Hong Kong aussi bien à Wan Chai qu’à Tsim Sha Tsui. Leur success story les a même ensuite conduit jusqu’en Chine continentale.
Ce marchand de glaces présent depuis plus de 40 ans a forcément marqué toute une génération de hongkongais. Stationnant près des écoles, tous ont le souvenir des glaces qu’ils s’offraient à la sortie des cours. Ces camions qui sont encore aujourd’hui les seuls à avoir une licence d’exploitation font partie du décor et beaucoup y sont affectivement attachés.
Mister Softee 富豪雪糕 est même passé à la postérité depuis que le réalisateur Wong Kar Wai a mis en scène ce camions de glaces dans son film Les Anges déchus. L’acteur Takeshi Kaneshiro y joue le rôle d’un délinquant muet et un peu barrée reconverti en vendeur de crème glacée. Une scène mythique le montre en train de forcer l’une de ses victimes à en manger tout en racontant que sa mère a été tuée renversée par un camion Mister Softee 富豪雪糕.
Pour découvrir ces emblématiques glaces hongkongaises, je vous emmène à Stanley, un quartier touristique au sud-est de l’île de Hong Kong. Sur Stanley Main Street, le marchand rejoint son emplacement chaque fois que la météo est clémente. Le soleil est éclatant et je profite de cette promenade déserte pour flâner tranquillement en contemplant ce magnifique paysage de bord de mer.
Comme leurs homologues américains, ces camions sont drapés de blanc, de bleu et de rouge. Parfois ils changent d’apparence au gré des campagnes publicitaires. Les camions sont anciens et leur vétusté participe de la dimension nostalgique à aller se commander une glace là-bas. Le renouvellement de la flotte n’est pas envisageable. Les licences d’exploitation sont associées aux camions. Il est impossible de les transmettre et aucune nouvelle licence n’est accordée depuis 1978. Ils ont donc vocation à disparaître si la politique locale en la matière reste identique.
Les plus vigilants auront remarqué que ce camion pris en photo récemment ne fait pas mention du nom de Mister Softee 富豪雪糕 mais de celui de Mobile Softee 雪糕車. En fait, l’enseigne hongkongaise a changé de nom en 2010 sans que j’en connaisse la véritable raison. Vraisemblablement une histoire de gros sous avec la maison mère américaine.
En s’approchant du camion, je distingue une petite musique lancinante. Il s’agit du Beau Danube bleu de Johann Strauss. Cette musique ne se fait pas entendre par hasard. Elle rythme le travail des marchands de glaces depuis leurs débuts. La valse viennoise attire les badauds et donne à cette pause gourmande un charme tout singulier presque suranné.
Le produit phare de ces camions est la Glace à la vanille 香滑軟雪糕 Hoeng Gwat Jyun Syut Gou. Son nom chinois signifie en réalité Glace molle et crémeuse. C’est avec cette dénomination amusante de Glace molle que les chinois désignent ce que l’on pourrait appeler chez nous une Glace à l’italienne. À l’origine, elle était vendue la modique somme de 0.5 HKD (soit environ 5 cts d’euro aujourd’hui). Son prix a depuis flambé et est passé à 9 HKD (~ 1 €). Il reste raisonnable mais tout de même… À ce tarif, il y a bien d’autres choses que l’on peut encore s’offrir à Hong Kong.
Ne vous attendez pas à être subjugués par cette glace somme toute très banale. Elle est simple mais crémeuse à souhait. Le parfum de vanille artificielle est à peine perceptible mais le cornet est bien croustillant. On est à des années lumières des nouveaux fabricants de glaces ultra-innovants comme Lab Made qui font fureur en ce moment à Hong Kong mais c’est toujours avec un plaisir non dissimulé que je la déguste après une escapade à la plage ou juste pour me rafraîchir lors des grosses chaleurs estivales.
Qui a dit que la vie à Hong Kong était frénétique et éprouvante ? Regardez-moi cette superbe vue. Black Pier que l’on aperçoit au loin n’est qu’à quelques centaines de mètres. C’est l’endroit rêvé pour paisiblement prendre l’air, une glace Mobile Softee à la main !
Informations :
Les 14 camions de glaces Mobile Softee 雪糕車 sillonnent le territoire de Hong Kong tout le long de l’année. Ils sont entre autres présents à Tsim Sha Tsim, Central, Wan Chai, Chai Wan, Mong Kok, Stanley, Victoria Park, Tuen Mun, Sai Kung, Tseung Kwan, Sha Tin et Ap Lei Chau. Vous les trouverez près des écoles, des lieux touristiques et des plages. Laissez-vous guider par la musique 😉