Une semaine après la publication du premier épisode, je vous propose de poursuivre notre Balade sur l’île de Cheung Chau à Hong Kong à la recherche de nouvelles spécialités gourmandes.
Au même titre que Tai O ou Lei Yue Mun, Cheung Chau est avant tout un village de pêcheurs et une bonne partie des côtes de l’île accueille des bateaux de toutes envergures. Pour s’en rendre compte, je vous recommande d’ailleurs de faire un tour en 電船仔 Din Syun Zai. C’est le nom que l’on donne aux embarcations couvertes à moteur et qui ont fait le charme de Hong Kong dans les films des années 80 tournés au Victoria Harbour (Dans la vie, je partirais dans une digression lyrique autour de Jean-Claude Van Damme et de Bloodsport mais je vous épargne ça sur le blog..). Pour l’anecdote, ces bateaux ont été surnommés 嘩啦嘩啦 Waa Laa Waa Laa par les colonisateurs anglais en raison du boucan qu’ils faisaient (嘩 Waa signifiant bruit soudain) ! Le mot a une petite connotation péjorative mais vous pouvez sans problème l’utiliser pour vous faire comprendre.
Qui dit village de pêcheurs à Hong Kong, dit forcément restaurants de poissons mais aussi vendeurs de poissons séchés ! Sur la promenade, cette dame dont on ose à peine imaginer l’âge a la bosse du commerce. Avec un bagout incroyable et un sens aiguisé du calcul mental, elle enchaîne les clients venus faire le plein de spécialités de la mer.
L’étal reste modeste mais très bien achalandé. Même si l’on aperçoit quelques pétoncles séchés 乾瑤柱 Gon Jiu Cyu dans le fond et de la vessie de poisson 魚肚 Jyu Tou en premier plan, cette brave dame fait plutôt dans le petit poisson dont elle nous précise qu’il est séché et pêché par ses enfants.
Sur l’île de Hong Kong, on trouve aussi une grande concentration de boutiques de poissons et fruits de mer séchés sur Des Voeux Road à Sheung Wan. Il y a encore un demi-siècle, les commerçants faisaient sécher les poissons sur les toits des immeubles avant de les vendre sur les trottoirs mais, de nos jours, la place manquant et les loyers augmentant, le séchage est réalisé directement sur les zones de pêche à l’extérieur de la ville voir beaucoup plus loin… Raison pour laquelle beaucoup de hongkongais n’hésitent pas à joindre l’utile à l’agréable en venant faire leurs commissions directement dans les villages. Ils ont davantage de garantie sur la provenance et les prix sont plus raisonnables.
Je suis malheureusement loin d’être un expert en identification de poissons mais je reconnais quand même les soles, les bars, les alevins ou encore les crevettes. À ce propos, il n’est pas rare de croiser à Cheung Chau des pêcheurs en train de décortiquer les crevettes séchées. C’est un travail de titan qu’ils réalisent avec une telle dextérité que le spectacle en devient captivant.
On me demande souvent quel ingrédient manque le plus lorsque l’on veut faire la cuisine chinoise en dehors du pays. Les poissons et fruits de mer séchés font partie de la liste d’abord parce qu’ils sont très peu exportés mais aussi parce qu’ils ont une place primordiale dans la gastronomie chinoise et cantonaise en particulier. Dans les soupes, les congee, les marmites de riz, les omelettes, les nouilles, les marmites de légumes sans oublier l’incontournable sauce XO, on en trouve partout ! Au delà de leurs bienfaits nutritionnels, ils permettent d’amener du sel dans les plats, de la puissance et de jouer sur l’association terre/mer dont les chinois sont friands.
Le charme des villages et des îles de Hong Kong tient au contraste entre modernité et tradition qui interpelle à chaque coin de rue. Les gratte-ciels côtoient les cabanes, les voitures de luxe laissent passer les chariots des vieux livreurs, les villas font face aux maisons sur pilotis, les jeunes branchés croisent de veilles dames semblant sortir d’une autre époque, la junk food américaine s’installe au milieu des vendeurs de rue tandis que les casquettes aux couleurs d’équipes américaines de basket s’invitent au milieu des curiosités typiques du Nouvel an chinois. Ce capharnaüm ne peut laisser personne insensible. Certains regretteront de ne pas trouver le romantisme aseptisé qu’ils étaient venus chercher alors que d’autres y verront une société désorganisée et peu accueillante. Même s’il va de soi que ces constats soulèvent mille problèmes majeurs, le fait est que ces territoires ont une identifié et une évolution qui leurs sont propres. Dans une société mondialisée qui ne sait nous proposer que des villes clonées à l’occidentale, ce gigantesque bric-à-brac a finalement tendance à me rassurer et à m’émouvoir.
Bien que cette balade ait eu lieu en janvier, j’ai tout de même réussi à mettre la main sur les Brioches de la Paix 平安包 Peng Ngon Baau qui rendent cette petite île du sud de Hong Kong célèbre. Bombées et luisantes, elles arborent fièrement les deux caractères chinois 平安 caractéristiques de cette spécialité. On les traduit par le mot Paix mais ils portent aussi l’idée de calme, de stabilité et de sécurité. Ils sont d’ailleurs utilisés dans des expressions chinoises que l’on pourrait assimiler en français à des formules comme Bon Voyage ou Bienvenue.
À l’occasion du Festival de la Brioche de Cheung Chau 包山節, les habitants construisent des pyramides en bambou culminant à près de 60m et recouvertes de centaines de Brioches de la Paix. Le 9ème jour du 4ème mois lunaire (en 2014, c’est tombé le 7 Mai), plusieurs équipes de courageux de l’île et des environs grimpent sur les pyramides pour récolter en 3 minutes le maximum de brioches (en mousse et non des vraies).
Cachée dans la discrète Pak She Street, la petite boulangerie Kwok Kam Kee Cake Shop 郭錦記餅店 s’est forgée une solide réputation. Elle est le fournisseur privilégié du festival depuis des années et écoule près de 30 000 brioches pendant cette période. Venir à Cheung Chau sans passer là-bas serait considéré comme une faute inexcusable ! Ils proposent bien sûr des brioches traditionnelles à la pâte de graines de sésame et de lotus mais s’aventurent aussi sur des déclinaisons à base de pâte d’igname ou d’haricots rouges. Je suis resté sur la version classique et il est clair qu’ils savent y faire. Tout juste sorties du panier vapeur, elles sont aériennes et divinement moelleuses. La garniture est dense et sucrée mais elle reste peu abondante au regard de la taille de la brioche ce qui donne un très juste équilibre. L’essayer, c’est l’adopter !
Sans attendre, nous enchaînons avec un restaurant de desserts qui attire toute la journée des foules de jeunes affamés. Alors que la rue est déserte, nous sentons déjà au loin l’agitation qui règne au 允升甜品 Wan Sing Tim Ban. Dès l’entrée, nous devinons la spécialité des lieux. Un amas impressionnant de peau de mangues attend de partir aux ordures. Une dame peu loquace (voir muette car je n’ai pas réussi à lui faire sortir le moindre mot avant de me faire déguerpir par le patron) réalise dans un coin une montagne de magnifiques Perles de Riz gluant à la Mangue 芒果糯米糍 Mong Gwo No Mai Ci. Ici, on décline la mangue de provenance de Thaïlande de mille façons. Nous y allons à fond sur la commande tellement les prix sont dérisoires (entre 0.8 et 2 € par dessert). Les Perles évidemment, façon Mochi japonais, elles sont d’une gourmandise rare et la qualité de la mangue dépasse l’entendement. Je pourrais me faire moine dans un temple de Cheung Chau si le patron acceptait de me délivrer le secret de sa recette. Même sanction pour la Soupe de Mangue et Perles de Sago ou les surprenants Rouleaux de riz gluant à la Mangue 芒果腸粉 Mong Gwo Coeng Fan déclinés avec des rouleaux au sésame et au thé vert. Si seulement, j’avais eu plus d’appétit, j’aurais pu essayer leur Soupe de Mangue, Lait de Coco, Sago et Pomelo 楊枝金露 Joeng Zi Gam Lau mais ce sera pour une prochaine fois. Quoiqu’il en soit, voilà encore une adresse incontournable à Cheung Chau ! Rappelons tout de même pour les âmes sensibles que dans ce genre d’endroits, ce sera tabourets en plastique, partage de table avec des inconnus, lancée de carte, commande en criant à travers la salle et débarrassage express pour laisser la place aux suivants. Un peu violent mais moi j’aime ça…
Nous quittons l’ambiance survoltée du restaurant de desserts pour une balade dans les hauteurs à l’est de l’île. Après un moment de recueillement dans un paisible temple bouddhiste, nous entamons l’ascension de la Mini Muraille de Cheung Chau. Courant le long des rochers, elle a été construite récemment en s’inspirant de l’architecture de la Muraille de Chine. Rien d’extraodinaire mais la promenade offre de magnifiques paysages sur la mer de Chine du sud.
Nous repartons finalement sur le port pour une bonne bière en terrasse. Attention, pas n’importe quelle bière, une Blue Girl ! À l’image de la bière chinoise Tsingtao, bien connue en France, Blue Girl est le fruit de l’exportation des techniques de brassage allemandes à la fin du 19ème siècle en Chine. Propriété de l’entreprise d’origine allemande basée à Hong Kong Jebson, cette bière blonde fraîche et légère est maintenant produite en Corée et représente près de 25 % du marché hongkongais.
Alors je ne sais pas si j’avais trop bu ou simplement pris un coup de soleil sur la tête mais j’ai vu passer quelques créatures étranges… Peut-être aussi le signe qu’il était temps de se remettre en selle. En tout cas, je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour de nouvelles découvertes gourmandes sur l’île de Cheung Chau !
Informations :
Kwok Kam Kee Cake Shop 郭錦記餅店
G/F, 46 Pak She Street, Cheung Chau, Hong Kong
允升甜品
G/F, 3 San Hing Street, Cheung Chau, Hong Kong
Retrouvez toutes les adresses sur la Carte de mes Adresses à Hong Kong.