Jérémy Biasiol, l’ascension incroyable d’un Chef français à Hong Kong

29 novembre 2012

Je vous propose aujourd’hui de faire la connaissance du Chef Jérémy Biasiol. Après avoir passé plus de 11 ans dans les restaurants d’Alain Ducasse à travers le monde du Plaza Athénée à Paris au Essex House à New York en passant par le Louis XV à Monaco, il est maintenant à la tête de son propre restaurant MIRROR à Hong Kong.  Un an après son ouverture en septembre 2010, il décroche avec son équipe sa première étoile au guide Michelin en 2011 et peut être une deuxième dans quelques jours…

Je suis allé dans son restaurant il y a maintenant un an alors qu’il venait de décrocher sa première étoile au Guide Michelin. J’ai gardé un souvenir impérissable de mon diner au restaurant MIRROR. Depuis cette date, je suis, sur internet, l’ascension de ce jeune chef. C’est ainsi que j’ai pu me rendre compte que le Chef Jérémy Biasiol avait un rapport singulier avec Hong Kong. Je sentais chez lui la même passion pour cette ville que celle qui m’anime au quotidien. J’ai donc voulu en savoir plus en organisant cette petite interview informelle. Voici la retranscription de nos échanges 😉

Jérémy BiasiolJ’ai lu que vous aviez quitté un poste de chef privé à New York pour devenir professeur de cuisine à Hong Kong. Pourquoi avoir fait le choix de Hong Kong et pas une autre ville ?

Pour être honnête, je voulais absolument venir en Asie que ce soit au Japon, en Chine ou encore en Thaïlande mais sans préférence particulière pour une ville. A l’époque, nous étions en pleine crise et les postes de chefs correctement rémunérés étaient rares. On m’a en effet proposé un poste de Professeur de Cuisine dans un Lycée hôtelier à Hong Kong et c’est comme ça que mon aventure à Hong Kong a commencé.

Et vous étiez déjà venu à Hong Kong auparavant ?

Oui j’étais déjà venu à Hong Kong du temps où j’étais Chef privé à New York. J’avais été subjugué et captivé par l’intensité de cette ville. Elle m’avait donné la sensation d’être encore plus aventureuse que New York. Il faut dire que Hong Kong est magique. Quand on pense à la Baie de Hong Kong, aux films comme James Bond, etc. tout ça fait vraiment rêver.

Comment se passaient vos cours de cuisine au Lycée hôtelier à Hong Kong ?

Le lycée hôtelier accueillait de jeunes cantonais pour se former aux métiers de la cuisine. La plupart des jeunes lycéens étaient un peu paumés car la cuisine n’est pas un métier très valorisé à Hong Kong. Du coup, je me suis retrouvé à enseigner à des jeunes parlant très peu anglais les bases de la cuisine française.

Comment s’est construit ce projet fou de lancer votre restaurant « indépendant » MIRROR dans une ville où la gastronomie française officie le plus souvent à l’intérieur des grands hôtels ?

Le lycée proposait également des cours pour des particuliers qui souhaitaient apprendre la cuisine française. Mes futurs associés avaient entendu qu’un ancien Chef de chez Alain Ducasse y dispensait des cours et ils s’y sont inscrits. Ils ont d’ailleurs eu de la chance car il ne restait plus que 2 places. Nous sommes devenus amis et ils m’ont proposé d’ouvrir un restaurant dans la tour Tiffan Tower à Wan Chai dont l’un d’eux était le propriétaire. J’ai tout de suite dis oui et c’est comme ça que l’aventure MIRROR a débuté. Effectivement, MIRROR est encore aujourd’hui le seul restaurant français indépendant de Hong Kong.

Votre brigade au MIRROR est uniquement composée de jeunes hongkongais. Pourquoi avoir fait ce choix et ne pas avoir fait venir des cuisiniers français ?

D’abord le fait d’avoir enseigné la cuisine à ces jeunes a été pour moi une aventure exceptionnelle car ils m’ont vraiment fait découvrir beaucoup de choses de Hong Kong. Ensuite, quand il a été question d’ouvrir un restaurant après avoir été deux ans leur professeur, dans ma tête, je n’imaginais pas partir sans eux. Du coup, j’ai pris avec moi les plus motivés qui n’étaient d’ailleurs pas forcément les meilleurs. Par exemple, mon chef pâtissier était l’un des plus mauvais étudiant de ma classe, il était toujours en retard et ne savait rien faire. Un jour je l’ai attrapé et je lui ai demandé ce qu’il voulait faire de sa vie et il m’a répondu « Pâtissier ». Je lui ai alors promis que si un jour j’ouvrai un restaurant il serait mon pâtissier. Et voilà, aujourd’hui l’équipe a une étoile au Michelin et j’espère peut être bientôt une deuxième.

Justement les restaurants français à Hong Kong avec plus d’une étoile se comptent sur les doigts d’une seule main. A part l’Atelier Joël Robuchon et encore c’est un cas un peu particulier, les 4 autres sont des restaurants de grands hôtels. Dans ce contexte, pensez vous que cela soit possible pour le MIRROR de décrocher une 2ème étoile ?

Je pense que le Guide Michelin a revu sa politique depuis le début de la crise. Quand on regarde les guides sortis récemment à travers le monde, on voit que les nouveaux étoilés sont de « petits » restaurants qui n’ont pas les moyens des restaurants habituellement étoilés. Le Michelin a besoin d’élargir sa clientèle et cette nouvelle clientèle ne se retrouve pas dans la cuisine de palace. En plus, ici en Asie la cuisine de palace n’impressionne plus. Quand un restaurant du Four Seasons décroche 3 étoiles c’est normal et la presse en parle peu. En revanche quand le MIRROR a décroché sa première étoile, il y a eu ici à Hong Kong un buzz incroyable.

The Mirror Hong KongCette première étoile vous a fait découvrir au grand public ici mais quelle est véritablement aujourd’hui la clientèle de votre restaurant ?

Elle est très large. J’ai voulu justement casser les prix et proposer deux menus à des prix très différents pour rendre le restaurant accessible au plus grand nombre. Nous avons aussi bien de jeunes couples avec peu de revenus venus se faire plaisir avec le menu à 698 HKD (70 Euros) que des célébrités habituées aux tables étoilées s’offrant naturellement le menu à 1298 HKD (130 Euros).

Alain Ducasse a été l’un de vos mentors dans ce milieu. Si je vous dis que je préfère votre restaurant au Spoon by Alain Ducasse, c’est grave ?

Non et ça fait plaisir à entendre ! Il faut voir que nous n’avons pas les moyens de ces restaurants. Un restaurant comme le Spoon bénéficie d’une vue et d’une situation exceptionnelle. Nous avons lancé le MIRROR avec des moyens ridicules. Nous misons tout sur ce qu’il y a dans l’assiette pour faire venir les clients.

Est-ce que votre réussite a donné des idées à d’autres chefs français de venir s’installer à Hong Kong ?

Non pas spécialement. En revanche, je pense avoir donné envie aux chefs français présents à Hong Kong d’aller faire leurs emplettes au marché et d’utiliser davantage de produits locaux comme je le fais au MIRROR.

The Mirror Hong KongQuels produits des marchés de Hong Kong utilisez-vous pour votre restaurant ?

Nous avons notamment au MIRROR deux plats signatures : les Cuisses de Grenouilles, Crème à l’ail et Sauce au cresson et un Pigeon rôti accompagné de légumes du marché. Ces deux plats sont 100% local et ont très bien fonctionné auprès des hongkongais. Les produits sur les marchés de Hong Kong sont d’une qualité remarquable notamment tous les poissons et fruits de mer.

Dans quels marchés allez-vous plus particulièrement ?

Je vais principalement dans deux marchés près du restaurant, le marché de Wan Chai et celui sur Canal Road près de Times Square. Je me fournis également dans des fermes biologiques dans les nouveaux territoires de Hong Kong.

Qu’est-ce qui vous plait le plus dans votre vie aujourd’hui à Hong Kong ?

J’apprécie particulièrement la diversité dans la gastronomie à Hong Kong. Il faut savoir que Hong Kong est la capitale de la gastronomie en Asie et on peut y manger merveilleusement bien pour seulement quelques dollars comme pour beaucoup plus cher. De manière générale, j’adore ma vie à Hong Kong. Je regrette peut être que la ville ne propose pas plus d’activités culturelles.

Et les hongkongais ?

Les hongkongais sont parfois un peu rudes mais il faut apprendre à les connaître. J’apprécie le souci qu’ils ont de chercher à préserver et protéger leur culture et leurs traditions. Les hongkongais sont également plein d’énergie et je trouve les jeunes particulièrement motivés.

Qu’est ce que vous aimez dans la cuisine cantonaise et chinoise en général ?

Je suis d’abord un grand fan de Dim Sum. La cuisine cantonaise est une cuisine très raffinée et toujours préparée avec des produits frais et de grande qualité. Grâce à mon équipe, je découvre des restaurants locaux que je n’aurais jamais trouvé par moi-même. Du coup, je teste sans cesse de nouvelles spécialités cantonaises. C’est vrai que parfois certains plats sont atypiques mais je n’ai aucune appréhension et je mange toujours de tout. Je suis très attaché à vivre le plus possible comme les hongkongais et je fais le maximum pour m’intégrer à cette ville. Je regrette d’ailleurs parfois que tous les français de Hong Kong n’en fassent pas autant. Il est essentiel de faire cet effort d’intégration quand on vit dans un autre pays.

Quel plat français ne serviriez-vous jamais dans votre restaurant ?

D’abord je n’ai jamais voulu faire un restaurant « français » à Hong Kong. Mon restaurant s’appelle « MIRROR » et ne porte pas un nom français pour justement ne pas avoir cette étiquette. J’ai souhaité faire une cuisine d’inspiration française bien sûr mais aussi d’inspiration locale. C’est pour cela que j’utilise uniquement des produits locaux et non des produits importés. J’ai également fait évoluer la préparation de certains plats notamment dans les cuissons pour m’adapter aux goûts des hongkongais. Par exemple, je ne propose pas de poisson frit mais plutôt du poisson cuit à la vapeur. Les hongkongais n’aiment pas les goûts trop prononcés et préfèrent les saveurs subtiles à l’image de la cuisine cantonaise. Quand je crée un nouveau plat, je suis toujours très attentif aux remarques de mon équipe.

Que répondez-vous à ceux qui pourraient penser en France qu’il n’existe pas de produits de qualité en Chine ou à Hong Kong ?

Ils ont tord car on trouve ici à Hong Kong des produits exceptionnels et de plus en plus. Les hongkongais sont très soucieux des problématiques d’environnement et de qualité des produits. Ils les réclament. Pour donner un exemple, j’utilise au MIRROR un Caviar provenant de Chine absolument incroyable. Tous les poissons et fruits de mer sont ici toujours vendus vivants pour garantir la meilleure fraicheur des produits. Pour l’anecdote, j’ai emmené une fois un ami hongkongais en France et il avait été choqué par le fait que nous puissions acheter en France des poissons morts.

The Mirror Hong KongComment se fait il que l’on connaisse aussi mal les grands Chefs chinois ?

C’est vrai que les chefs européens bénéficient d’une publicité immense dans les journaux ou à la télévision. Par contre les chefs chinois sont méconnus et on n’associe difficilement leurs noms à leurs restaurants. Je pense qu’il y a une raison culturelle à ne pas vouloir s’exposer dans les médias. De plus il y a une véritable culture du secret autour de la cuisine cantonaise. Les chefs cantonais ne diffusent que très peu leurs recettes.

Ce phénomène devient aujourd’hui un problème majeur car les chefs cantonais disparaissent petit à petit sans transmettre leur savoir à la jeune génération davantage intéressée par la cuisine moléculaire. Les hongkongais se plaignent déjà que des spécialités pourtant très appréciées aient totalement disparu.

Après ces années à vivre en Asie que pensez-vous finalement de la cuisine chinoise en France ?

Quand tu as mangé chinois à Hong Kong tu ne peux plus manger chinois ailleurs. Je regrette cet amalgame entre toutes les cuisines asiatiques qui fait en France. Chaque pays que ce soit la Chine, le Japon, la Thaïlande, le Laos, etc. a sa propre gastronomie et il faut la respecter. Je suis désolé de voir qu’on puisse encore par exemple en France associer les Nems à la cuisine chinoise.

Avez-vous des restaurants fétiches à Hong Kong à recommander aux lecteurs du blog ?

Il y a énormément de restaurants que j’affectionne mais je ne retiens pas forcément toujours leurs noms. En tout cas, j’aime beaucoup le restaurant cantonais Yixin dans le quartier de Wan Chai près du MIRROR. Dans les nouveaux territoires, je vais fréquemment au restaurant de fruits de mer Dragon Inn dans le district de Tuen Mun où l’on peut se faire préparer du poisson vivant tout juste acheté au marché.

Dans les restaurants français je conseille bien sûr le Spoon by Alain Ducasse à Tsim Sha Tsui et l’Atelier Joël Robuchon à Central. Je recommande également le restaurant italien Linguini Fini. Le chef Vinny Lauria y fait un travail remarquable en utilisant uniquement des produits locaux et bio qu’il se procure dans les fermes organiques des Nouveaux territoires. Enfin en cuisine japonaise, le restaurant Iwanami à Causeway Bay a clairement mes faveurs.

J’ai vu que vous commenciez à suivre des cours de cantonais. C’est bon vous êtes à l’aise en cantonais maintenant ?

 小小 (« Un peu » en français) ! Ce n’est vraiment pas une langue facile. En plus mon équipe ne m’aide pas car même quand je leur parle en cantonais ils ont pris l’habitude de me répondre en anglais. Du coup ça ne me fait pas travailler !

Vous verra-t-on un jour faire un carton à Paris comme Adeline Grattard et son restaurant Yam’Tcha par exemple ?

Revenir en France pour les vacances oui mais pas forcément plus. En même temps je pense qu’il y a un vrai potentiel à Paris autour de la cuisine asiatique donc pourquoi pas. Pour le moment, je suis davantage intéressé par des villes dynamiques comme Pékin.

 

Et voilà ! J’ai pour ma part pris beaucoup de plaisir à discuter avec le Chef Jérémy Biasiol. Sa passion pour la cuisine et pour Hong Kong s’est ressentie tout le long de notre discussion. Étant également profondément attaché à Hong Kong, j’ai été très touché par le souci quotidien du Chef Jérémy Biasiol à s’intégrer à la population, à comprendre la culture cantonaise, à manger local, à apprendre la langue, etc. Je vous invite vivement à aller lui rendre visite dans son restaurant pour découvrir sa merveilleuse cuisine et on croise les doigts pour sa deuxième étoile au Guide Michelin !

Informations sur le Chef Jérémy Biasiol et son restaurant MIRROR :

MIRROR Restaurant
6th Floor, Tiffan Tower,
199 Wanchai Road, Wanchai, Hong Kong.
Tél : 852-25737288
http://themirror.hk
https://www.facebook.com/mirrorhk


Retrouvez le MIRROR sur la Carte de mes Adresses à Hong Kong.

Pour en savoir plus encore sur le Chef Jérémy Biasiol, je vous invite à lire d’autres interview de lui notamment celle-ci en français : http://www.lepetitjournal.com/communaute-hong-kong/portraits-et-interviews-hong-kong/111795-linterview-a-deguster-jeremy-biasiol-et-sa-bonne-etoile.html

17 Comments

  1. Thomas dit :

    Super ton interview Gastronome. Merci de m’avoir fait découvrir le Chef Biasiol ! J’ai prévu un passage à HK bientôt, je vais réserver c’est obligé là 😉

  2. Merci beaucoup Alexandre ! Ça me fait plaisir que tu aies remarqué mon attachement à la cuisine asiatique 😉 Très bonne journée !

    • Ah merci du partage ! La honte, je connaissais même pas ce film ! Je vais regarder ça très très vite 😉 En plus je vais pouvoir travailler mon cantonais en même temps :p
      Quel est ton pseudo sur FR ?
      Bonne soirée 😉

      • A vrai dire je ne vais jamais à Belleville :S C’est plus un quartier Wenzhou et tu sais les Cantonais et les Wenzhou c’est malheureusement pas le grand amour 🙁 Du coup je n’y vais jamais mais je ne doute pas qu’il y existe de bons restaurants. J’essaierai à l’occasion 😉 Merci bcp !!

  3. Sophie dit :

    Excellente cette interview. J’ai vécu à Hong Kong quelques années et j’y retournerai bien rien que pour tester son restaurant 🙂 C’est rare les français là bas qui cherchent autant à s’intégrer à Hong Kong. Ce Chef a toute mon estime.
    Bonne continuation pour le blog…

  4. Laurent L. dit :

    Obligé je réserve dans le resto de ce chef à mon prochain séjour à HK. J’aime bien sa mentalité.

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